"Les larmes du diable ont le goût amère de la rancune."Leonie Worthington

Les épreuves sont tels des lampadaires qui éclairent le chemin tortueux qui mène inexorablement à son véritable « soi » intérieur. Trouvant ainsi la voie évidente qui s’impose à un regard trop longtemps obscurci par une réalité bien trop sombre. Leonie avait toujours su cheminer à travers les ténèbres. Elle était née dans un gouffre sans fin de solitude qui avait su laisser son empreinte indélébile sur sa candeur passée. La souillant ainsi et la débarrassant de sa candide innocence. Effectivement, la Worthington n’était plus depuis bien longtemps cette petite fille naïve qui portait une foi absolue en la bonté et l’honnêteté de la nature humaine ou de toutes les autres races confondues. Les gens mentaient, constamment, continuellement et elle avait réalisé à force de déception qu’il ne fût pas nécessairement judicieux de prêter une foi aveugle en les dire d’autrui. Aussi, elle apprit rapidement à mettre des barrières. Elle s’isola des autres et favorisa les compagnies bien moins contraignantes comme celle de son chat roux Calypso ou de son magnifique violon Alto. La musique… Ce fut pour Leonie, une véritable échappatoire dans un premier temps, mais devint rapidement un calvaire au vu des nombreuses heures insupportables où sa mère lui ordonnait de s’exercer, encore et encore, cultivant ce talent bien présent, mais qui devint malheureusement aux yeux de la belle brune une sorte de malédiction. Cependant, en dépit de tous ces efforts, elle restait associer à cette image de fille prodigue de virtuose de la musique.

En grandissant Leonie parvint davantage à s’émanciper de la crainte de décevoir son entourage. Elle gagna en maturité et surtout en confiance en elle. Douce et aimable en apparence, sous ses airs de jeune fille modèle se dissimulait pourtant un tempérament bien plus ardent. Indéniablement, l’aristocrate n’était pas une personne à contrarier, car elle avait la rancune tenace. Le pardon était un domaine qui lui était difficile à concevoir. Néanmoins, derrière son obstination se cachait une raison bien précise, oui la crainte d’être brisée. Après tout, durant ses vingt-trois printemps d’existence Leonie avait dû surmonter quelques difficultés qui avaient laissé des traces.

Sûre d’elle et ambitieuse la violoniste sait désormais où elle va et ce qu’elle veut. Elle est assez capricieuse sur les bords et manque parfois de tact, mais derrière son apparence quelquefois inaccessible se cache une personnalité qui a désespérément besoin d’attention, de briller pour ceux qu’elle aime. Son plus gros défaut s’avère probablement être sa jalousie et sa possessivité avec ce qu’elle considère lui revenir de droit. N’allez pas trop vous y frotter sous peine de vous attirer ses foudres. Néanmoins, Leonie n’est pas le genre de femme à faire des scandales. Dans le cadre d’une telle situation, elle se contentera de lancer quelques petits sarcasmes bien trouvés.

Pour autant, Leonie n’a pas un mauvais fond, au contraire, elle accorde sa chance à celui qui la mérite et à une seule reprise. De plus, l’aristocrate sait aussi se contenter de plaisir simple comme manger un cheeseburger dans un fast-food ou regarder un match de football à la télévision occasionnellement. Elle reste tout de même une jeune femme élégante sans être dans l’excès qui sait garder l’esprit ouvert.

16 Février 2015.
Le crépuscule narguait le ciel dont la couleur prenait une indescriptible teinte rougeâtre semblable à la mélancolie qui envahissait l'âme bien trop meurtrie d'une jeune femme qui n'était autre que Leonie Worthington. La belle brune arpentait les rues animées de Reversa, de son pas ferme et décidé. Sûre de sa destination, elle n'avait que faire des regards qui frôlaient son imperturbable orgueil. Aussi, elle parvint bien rapidement au lieu où elle avait été bien trop longtemps attendue, l'hôpital psychiatrique de la ville.

Rapidement, Leonie s'engouffra dans la chaleur du hall d'entrée d'une modernité froide et impersonnelle. Elle s'approcha ensuite de la secrétaire, -Sophie si sa mémoire ne lui faisait pas défaut- en la regardant alors qu'elle lui adressait ce sourire compatissant auquel la violoniste ne s'accoutumait toujours pas d’ailleurs, car il l'exaspérait au plus haut point. Elle l'écouta avec distance lui annoncer que sa thérapeute l'attendait dans son bureau, sans négliger de suggérer à la Worthington de la suivre.

Le claquement des talons de Leonie sur le parquet était sans doute le seul bruit qui venait troubler le silence presque cérémonieux des couloirs déserts. La brune regarda son guide, tout en marchant derrière celle-ci. Que pouvait penser cette femme du fait que Leonie consultait aussi régulièrement? La considérait-elle comme… sérieusement perturbée? Leonie préféra ne plus y penser, cela la mettait terriblement mal à l’aise. Finalement, elles parvinrent toutes deux à la hauteur du bureau où allait se dérouler sa séance hebdomadaire. Après avoir annoncé la présence de la ténébreuse Leonie, Sophie se retira en incitant la patiente à pénétrer dans la pièce. Sans se faire prier Léonie s’exécuta en referma doucement la porte derrière elle puis, son regard papillonna sur le bureau d’une pagaille sans nom de sa thérapeute, le docteur Laponaire. Comme toujours, la psychologue était tranquillement installée sur son fauteuil, bras croisés, un magnétophone sur son bureau. Ses beaux cheveux blonds semblaient que trop négligée mais n’entachait en rien l’insupportable bienveillance qu’émanait de ses traits fins de son regard limpide qui réussissait à cerner l’aristocrate mieux que personne.
D’un geste de la main, elle invita Leonie à s’asseoir sur le fauteuil en face du sien et c’est ce qu’elle fit. Le silence régnait entre les deux femmes. Cependant, Leonie ne se trouva pas d’une humeur encline à le briser. Préférant se complaire dans son mutisme. Un choix que respectait sa thérapeute qui ne voulut à aucun moment la brusquer. Alors, elles ne parlèrent pas, mais se regardèrent seulement ayant pour bruit de fond le cliquetis d’une vieille horloge murale. Au bout d’un certain temps, la brune concéda à lâcher ces mots.
« Je ne suis pas folle. »

Le docteur Laponaire enclencha son enregistreur tout répliquant aux paroles que Léonie avait prononcées.

« Il n’a jamais été question de cela Leonie, est-ce la raison qui vous a poussé à accepter ces séances ils y a maintenant treize ans de cela ? Pour vous en convaincre? » L’interrogea la femme d’âge mûr.

Léonie la regarda droit dans les yeux. Néanmoins, elle ne semblait plus vraiment là. Perdues dans les méandres de ses souvenirs douloureux. Ce fut d’une voix absente qu’elle se résolut à faire une chose qu’elle ne s’était que trop longtemps interdit, se confier.

« Ils pensent tous que je vais devenir comme elle, ma mère, la ravissante bourgeoise sanglante. Que ce n’est que question de temps avant que je ne bascule, je le sais, je les entends médire dans mon dos ces vils rapaces de la haute. Moi, Leonie, fille de Scott et de Drucilla, la bâtarde, je sais qu’ils attendent de me voir commettre un faux pas, mais je ne les laisserais pas m’humilier.»

La colère consumait son regard sombre. Leonie n'oublierait jamais les conditions de son indésirable naissance, car personne ne le lui permettrait. Peu importait le temps qui s'écoulerait, les autres scandales fameux qui pourraient éclater dans la ville de Reversa, elle resterait aux yeux de tout ce beau monde aristocratique la fille illégitime de Scott Worthington. Être la progéniture d'un homme aussi influent pourrait être considérée comme une aubaine, mais il n'en était rien. Tout ce que pouvait désormais faire Leonie s'était d'apprendre à vivre avec cela. Garder la tête haute et surmonter son passé obscur. Néanmoins, ce n'était pas aussi simple qu'elle l'aurait souhaité.

Il fut vrai que le patriarche Worthington prit toutes les mesures nécessaires afin que la jeune femme ne manque de rien durant son enfance. À défaut de sa présence physique, il mit un point d'honneur à répondre aux besoins financiers de sa fille. Elle qui chercha durant longtemps à entretenir une réelle relation avec lui dut toutefois s'incliner devant l’obstination de son géniteur à maintenir des rapports cordiaux. Leonie ne récolta au final qu'une amère désillusion sur cet homme qu'elle avait si longtemps considéré comme grandiose. Scott n'était qu'un homme et pas à l'attitude des plus honorables. Elle fut donc élevée dans une relative opulence. Était-ce pour Scott, un moyen d'alléger sa conscience ? Leonie n'en sut jamais rien pourtant, elle ne se détourna jamais de cette interrogation qu'elle n'osa pour autant éclaircir. Finalement, on pouvait reconnaître qu'elle s'en était plutôt bien tirée malgré la funeste influence d'une mère totalement dérangée. Combien de foi Drucilla l'avait-elle enfermée dans sa chambre afin qu'elle s'exerce à la musique ? Obsédée par l'idée de faire de sa fille une artiste aussi acclamée qu'elle durant ses lointaines heures de gloire. Aussi, surprenant que cela puisse paraître, Leonie ne le lui avait nullement reproché. Elle avait connaissance des troubles mentaux dont sa mère était victime. Comment lui en vouloir pour une déficience sur laquelle celle-ci n'avait aucune emprise ? Alors, elle lui pardonna cette tragique journée où prise de folie, sa mère tenta de la noyer dans la baignoire de leur imposante demeure. Sans l'intervention des domestiques, Leonie aurait probablement péri. Un frisson la parcouru à cette pensée.

Toujours dans le cabinet de sa thérapeute, une émotion singulièrement douloureuse et brutale submergea Leonie qui se recroquevilla sur elle-même. Les souvenirs se confondaient avec la réalité. Bon sang ! Elle faisait une crise de panique ! Sa vision devint soudainement trouble. À la place de sa psychologue la violoniste discerna sa propre projection beaucoup plus jeune, peu de temps après l'internement de sa mère qui suppliait son père de la prendre avec lui. Elle s'accrochait à son veston, terrifiée de rester avec les domestiques certes, loyaux, mais qui ne représentaient absolument rien à ses yeux. Évidemment, le patriarche Worthington s'était détourné d'elle, encore une fois. Il avait préféré préserver sa réputation qu'assumer ses responsabilités. Finalement, ce jour-là, Scott lui rendit un service. En effet, grâce à lui Leonie fut confronté à la plus douloureuse et insupportable certitude qu'une adolescente pouvait ressentir, ne compter pour personne sur cette terre.

« Leonie ?! Vous allez bien ? S'enquit son interlocutrice. »

La main réconfortante du docteur Laponaire se posa sur son épaule tressaillante. Cela eut pour effet de l'extraire de son état de transe. Le désarroi, la peine, la colère...Oui la colère ! C'était la sensation qui prédominait parmi tant d’autres et cette fureur lui donna la force de tenir ces propos.

« Je ne suis plus la même qu'auparavant, docteur, je surmonte mon passé et j'essaie d'avancer. Ces séances imposées par mon père n'ont plus aucun sens. D'autant plus qu'il est en grande partie responsable de ma détresse passée. Il est lâche et faible et heureusement il ne m'a rien transmis de ces imperfections. Je ne suis pas comme mes parents. Vous suivez mon parcours depuis des années. Vous l'avez vu me manipuler à de nombreuses reprises et pourtant continuer à se persuader qu'il agissait dans mon intérêt, laissez-moi rire... » Leonie se tut quelques secondes pour reprendre son souffre puis reprit. « Aujourd'hui, j'essaie de faire mes propres choix. J'ai choisi un métier qui me plaît et même si je reconnais avoir profité de son financement pour ouvrir mon agence événementielle, je compte bien le rembourser jusqu'au moindre penny! Vous savez, je prends sur moi pour me socialiser . Je fais partie de Mithra depuis ma majorité et... J'ai même des amis.»

L'image d'Edena lui vint à l'esprit et lui réchauffa le cœur, il y avait aussi Kyle. Enfin, lui s'était encore une autre histoire. Leonie laissa échapper un soupir avant de regarder la brave femme qui l'écoutait avec attention.

« Je n'ai plus besoin de votre aide madame Laponaire, préoccupez-vous plutôt de ceux qui la requièrent dans cette ville de malheur, j'en ai fini avec ces séances.»

Avec le recul, Leonie ne pouvait que se réjouir d'avoir été écartée des événements qui se déroulaient au sein de Reversa. Confinée dans l'une des résidences secondaires de son père, elle n'eut pas à assister à l'arrivée des Anges, Scott la garda suffisamment à l'abri pour qu'elle ne puisse se souvenir de la vague d'oppression et de terreur qui découla de leur gouvernance despotique. Leonie était trop loin de ce genre de considérations. Ses études étant dirigées par des précepteurs, seule, la presse la tenait au courant de ce qui se passait hors de sa cage dorée. Au fil des années elle finit par réaliser avec effroi que la tolérance zéro était de mise sous la dictature des Anges. Ce fut d'ailleurs durant cette période chaotique que la jeune femme trouva enfin le courage de tenir tête à son père. Âgée de dix-huit ans, bénéficier de davantage de liberté était une attente tout à fait légitime. La première sortie que Scott lui autorisa ne fut sûrement pas durant la période idéale pour revendiquer son indépendance, car aujourd'hui encore des souvenirs sanguinolents lui revinrent en mémoire quand elle s'autorisait à y songer. Le massacre de main Street, Leonie y assista. Oui, la violoniste se baladait dans les environs cette nuit-là et fut témoin de la plus abominable tuerie qu'il lui eut été donné le droit de voir. Par chance, Scott l'avait fait suivre et reconduite au cottage sans qu'elle ne fût victime d'aucun mal. Pour cela, Leonie lui en était sans doute redevable.

Soudainement, son regard triste accrocha celui de la psychologue. Il était terriblement lucide, abritant une détermination à toute épreuve. La ténébreuse Leonie se leva, bien qu’encore un peu chancelante. Sans permettre à la thérapeute de la contredire, elle se dirigea vers la porte. La franchisant pour une ultime fois, sans même un dernier regard sur ce qu’elle laissait derrière elle la Worthington quitta l’hôpital. Ainsi, elle se libérait du poids d’un passé bien trop lourd à porter, redonnant un nouveau souffle à son destin.

Trois ans plus tôt...

Le manoir Worthington était en pleine effervescence. Les domestiques s'agitaient dans tous les sens au gré des injonctions des propriétaires des lieux. Nombreuses étaient les personnalités qui afflués dans l'imposante bâtisse, ce que pouvaient aisément remarquer Leonie à travers la fenêtre du bureau de Scott. Des Lamborghini et d'autres voitures teintées pénétraient l'imposant portail du riche aristocrate. Elles furent accueillies par les gardiens qui leur indiquèrent où se garer afin d'assister à la mondanité organisée par distingué baron de la finance.

Furtivement, le regard de la violoniste se détacha de cette vision impressionnante. Leonie soufflait doucement afin de retrouver un respiration régulière. L'appréhension lui nouait l'estomac. Elle était tout bonnement tétanisée, bien qu'elle fît en sorte de donner le change. Affichant une mine totalement impénétrable. Ravissante fut l'épineuse demoiselle ce soir-là. Sa longue chevelure brunasse encadrait son visage élégamment maquillé. De plus, dans sa longue robe d'un bleu velouté, Leonie contempla un instant son reflet dans le miroir, attardant son regard sur le bustier orné de dentelles savamment travaillées. Rapidement, Leonie porta une main à son cou où une fine chaîne en or y reposait. Le contact avec le bijou la rassura, c'était le dernier présent que sa mère lui avait offert avant d'être... Enfin, de dérailler complet.

«Ma chérie, il est temps.»

La voix grave et puissante de son père la fit sursauter. Leonie se retourna vers Scott en hochant la tête, prenant au passage le bras qu'il lui tendait. Dans son smoking sur-mesure, il avait indéniablement fière allure. Un léger soupir se faufila entre les lèvres de Leonie. Mieux que quiconque, elle savait que ce soir-là sa vie allait basculer. Oui ne serait plus confinée dans l'ombre, car elle serait bientôt exposée à une lumière peut-être trop éblouissante pour son regard si longtemps accoutumée aux ténèbres.
Un silence révérencieux s'installa quand le maître Worthington pénétra avec sa fille dans la salle de bal. Ils allèrent ensuite tous deux au centre de la salle tandis que Scott fit signe à sa docile épouse de les rejoindre. Celui-ci s'empara d'une coupe de vin qu'il tendit à sa fille qui s'en saisit machinalement. Néanmoins, le patriarche en conserva une dans sa main libre alors que tous les regards convergeaient sur eux.

« Mesdames et Monsieur mes convives, ma femme et ne moi-même sommes honorés que vous ayez tous répondu présent à notre invitation.»

La suite du discours de son père devint inintelligible aux oreilles de la jeune femme. Elle avait l’esprit trop embrumé pour y prêter attention. Son regard vadrouillait sur les convives et Leonie parvint sans trop de mal à reconnaître certains hauts dirigeants de la ville qu'elle avait déjà aperçue occasionnellement à la télévision. D'autres la laissaient quelque peu dubitative. Etait-ce des canines qu'elle discernait sur certains des sourires des invités ? Vraisemblablement.

Ce fut la première fois qu'elle se trouvait en présence de ces êtres surnaturels, Lycans, Elfes, spectres et vampires et elle allait devoir s'y habituer. La jolie captive qu'elle était durant toute sa vie allait désormais pouvoir jouir de davantage de liberté, dans la ville où elle était née, mais qu'elle avait si peu eu l'occasion d'explorer.

-Mes chers amis, si je vous ai réunis ce soir c'est pour vous faire une annonce qui risque d'énormément vous surprendre. Nous accueillons aujourd'hui dans notre famille mon épouse et moi-même ainsi que mon fils Alexeï avec une joie immense ma fille Leonie Woringthon qui se tien à mes côtés.»

Des murmures de surprise s'élevèrent de l'assemblée. Scott venait de lâcher une bombe. Aucun retour en arrière ne pourrait être possible, car la vérité venait d’éclater. La vie de Leonie ne serait définitivement plus la même, mais elle n'avait plus peur, elle saurait mettre en échec ceux qui lui causeraient du tort. C'était une promesse. Leonie ne courberait pas l’échine.