Teresa Sharpe ||Terminée

Personne ne pourrait croire, à la regarder, que Resa est quelqu'un d'aimable. On lui reproche souvent d'avoir l'air d'une porte de prison pour la simple raison qu'elle n'est pas très bavarde, assez réservée, voire un peu oppressante dans son genre. En fait, elle préfère observer plutôt qu'intervenir, prendre le temps de jauger les gens et déterminer ce qu'ils valent plutôt que de tenter d'apprendre à les connaître directement. La plupart du temps, elle se contente simplement de faire sa vie dans son coin sans se préoccuper des autres. La plupart le lui rend bien car son attitude et son silence l'aident à passer inaperçue et à ne pas se démarquer des autres. Mais quand on l'a en face de soi, il peut être un peu dur de l'ignorer: son regard peut parfois paraître lourd, critique et être difficile à supporter.

Mais c'est seulement avec les autres. Ceux qu'elle ne connait pas, ceux dont elle se méfie. Ceux qui la connaissent, qui la connaissent vraiment, connaissent aussi son vrai visage. Ils savent qu'elle peut s'avérer être aussi douce qu'infernale, aussi ouverte qu'égoïste. Resa peut être une excellente amie à qui se confier et qui sera toujours là pour épauler ou guider son prochain, tout comme elle peut craquer et décider d'envoyer tout le monde bouler pour passer sa soirée avachie sur son canapé avec son canapé et une ou deux bières. Il lui arrive aussi d’avoir de grands accès de flemme durant lesquels elle peut se montrer à la fois parfaitement insupportable et un monstre de mauvaise foi tout comme elle peut passer des nuits à plancher sur un dossier. C'est une personne passionnée malgré la façade derrière laquelle elle se cache, et la raison n'est pas vraiment son fort. Quand elle fait quelque chose, elle ne le fait jamais à moitié, que ce soit haïr, agir, aimer, espérer… C'est ce qui fait sa qualité comme amie et ce qui la rend terrible comme ennemie. Elle aime faire la fête jusqu'à s'oublier et rencontrer de nouvelles personnes malgré son introversion.

En revanche, quand quelqu'un s'en prend à elle ou essaie de s'introduire dans son espace vital, elle peut se montrer violente dans ses mots et presque cruelle. Dans toutes ses relations, elle se sent plus à l'aise quand elle a le dessus et que c'est elle qui décide du rythme auquel vont les choses. Dès que quelqu'un essaie de la percer, elle a tendance à se refermer sur elle-même et à virer la personne avec un coup de pied dans la figure. En revanche, c’est toujours fais ce que je dis et pas ce que je dis avec elle. Elle est très curieuse et aime percer les autres à jours. Elle peut se montrer déloyale dès qu’elle n’obtient pas ce qu’elle veut tout comme être un monstre de raison avec quelque chose qui lui tient à cœur.

Comme la plupart des êtres vivants de la planète, Resa est née de deux autres êtres. L’homme, Rhys Eldred, était issu d’une ancienne famille d’elfes et se passionnait pour les technologies vertes, en grande expansion depuis quelques années. La femme, Margot Sharpe, était une humaine tout ce qu’il y a de plus normal, sans don surnaturel ni opposé, mais travailleuse, très intelligente et surtout décidée à compenser sa normalité en menant une vie hors du commun. Ils se rencontrèrent à une convention sur les énergies renouvelables et malgré tous leurs efforts pour résister, leur rencontre fut un véritable coup de foudre, un raz-de-marée dans leurs deux existences. Le seul nuage noir sur le tableau venait du fait que Rhys était déjà marié à une autre elfe. Avec Margot, Rhys avait la passion, l’insouciance et une parfaite adéquation d’esprit, mais en contrepartie, il devait faire avec le caractère explosif de la jeune femme, leurs disputes aussi brèves que fortes et le doute du bien-fondé de ce qu’il faisait. Avec son épouse, tout était tellement plus simple, plus calme et plus rassurant. Ils se connaissaient depuis qu’ils étaient petits et quand ils s’étaient mariés, il s’agissait d’une simple formalité, une évidence, pour tout le clan. Or, il nourrissait quelques doutes vis-à-vis de son mariage depuis quelques temps et sa rencontre avec Margo l’avait ébranlé. Rester marié à quelqu’un que l’on n’est plus sûr d’aimer peut paraître difficile mais se résoudre à quitter quelqu’un avec qui on a passé toute sa vie l’est mille fois plus. Il ne put s’y résoudre et Margot s’en accommodait relativement bien puisque le secret et les manigances lui parlaient plus que n’importe quoi. La conception de Teresa n’était pas au programme mais en apprenant sa grossesse, après quelques années de relation secrète, Margot était décidée à se construire une vie à elle, dont Rhys n’était pas le centre. Au fond d’elle, elle gardait l’espoir qu’il se décide à quitter sa femme pour de bon et venir vivre avec elle. Ce ne fut pas le cas mais au moins, il était là pour elle et pour leur fille.

Quelques années, Margot découvrit par hasard que sa rivale venait de donner naissance à une petite fille, résultat d’une tentative de retrouver un semblant d’intimité avec son mari. Rhys réussit à maîtriser une Margot comme furieuse quelques mois en lui assurant qu’il quitterait sa femme dès que le moment serait bon mais un beau jour, décidant qu’il l’avait trop longtemps prise pour une bille, elle embarqua sa fille et se rendit chez les Eldred pour se présenter. Le divorce fut prononcé quelques mois plus tard et enfin, Rhys Eldred et Margot Sharpe purent avoir leur cérémonie, une fois les morceaux recollés. Teresa et sa mère s’installèrent dans la forêt avec le clan de son père. Tess, sa demi-sœur elfe jusqu’au bout des ongles, vécut avec sa mère pendant un temps jusqu’à ce que son travail l’oblige à voyager de part et d’autre d’Europe et à abandonner la garde à son ex-mari. Ainsi, malgré un début compliqué, tout finir par aller pour le mieux dans cette famille étrangement construite. Margot, ses rêves de destin exceptionnel rangé au placard, éleva Tess et Teresa sans distinction ni préférence et se réjouit de les voir construire une grande amitié en grandissant.

Petite, Teresa prenait son rôle d’ainée très à cœur. Elle suivait sa petite sœur comme son ombre, que ce soit pour grimper aux arbres, faire les quatre cent coups avec les enfants ou s’amuser à se cacher quand les adultes les appelaient pour rentrer. Quoi qu’il arrive, elle refusait de quitter la boule d’énergie qui lui servait de cadette. Sur ce point, elle était aussi sérieuse que sa sœur était aventureuse. La seule chose qu’elle refusait de faire malgré son amour pour Tess était de s’approcher de la ville. Même si elle était humaine comme sa mère, Teresa n’avait jamais ressenti le besoin d’y aller, pas même pour assouvir sa curiosité. Réversa lui semblait être un enfer assourdissant où l’air était étouffant. Les rares fois où elle avait trouvé le courage de s’approcher de la lisière pour aller sommer Tess de rentrer, elle s’était perchée dans une branche dès que quelqu’un semblait arriver. Dans le clan, on parlait de créatures nocturnes vivant à Réversa qui s’aventuraient parfois dans les bois et pouvaient être dangereux pour eux… pour elle en particulier.

Au sein du clan, Teresa grandit comme si elle en faisait elle-même malgré sa nature humaine. Personne ne lui fit jamais sentir qu’elle était différente ou indésirable. Elle était si bien intégrée qu’à la fin du secondaire, devoir quitter le sein rassurant de la forêt pour poursuivre des études à l’université de Réversa lui apparaissait comme la pire des abominations. Elle dut pourtant s’y résoudre et partir à la découverte de ce monde qu’elle ne connaissait en rien sans jamais trouver le moindre intérêt au monde des humains. Elle ne faisait qu’y passer la journée, évitant de se mêler aux autres, par timidité et suspicion et rentrait dare-dare dans la forêt à la fin des cours.

Quelques temps avant ses vingt-et-un ans, des étrangers arrivèrent en ville. Des créatures qui n’étaient ni humaines ni lycans ni vampires ni elfes venues remettre la ville sur les rails. À l’hôpital où elle faisait son internat, elle vit les autres changer. Certains semblaient satisfaits, d’autres abattus par le cours des événements. Cependant, Teresa ne s’y intéressait pas. Tout ce qui lui importait était ses études et sa forêt, le reste pouvait partir en flammes qu’elle n’en aurait rien eu à secouer. Pourtant, les beaux discours du nouveau gouvernement fondé dans la ville trouvèrent leur chemin jusqu’à son clan, ne laissant que des mines sombres sur les visages de la plupart des elfes.

Les choses dégénérèrent pour eux un mois après l’anniversaire de sa sœur. Tess était sortie faire la fête et avait promis de rentrer au grand maximum à minuit. Resa dormait quand elle fut réveillée par des hurlements et ce qui lui rappelait les soirées au coin du feu avec ses amies. La nuit était teintée d’orange et de pourpre alors que son réveil indiquait une heure bien trop tôt pour que les rayons de l’aube pointent le bout de leur nez. Sa mère débarqua dans sa chambre pour la tirer sans ménagement de son lit. Elle eut à peine le temps d’attraper un gilet avant de quitter sa maison menacée par les flammes. Elles retrouvèrent Rhys et s’enfuir vers la ville. Sur le chemin, ils virent des gens faire monter les elfes en panique dans des camions mais sans Tess, ils se refusaient d’aller vers la porte de sortie évidente à ce cauchemar.

Le lendemain matin, Tess les retrouva tous les trois assis sur un talus, abattus, choqués et sans mots, à contempler les restes fumants de ce qui avait été leur maison. Sur le chemin du retour, elle avait vu les flammes monter de loin et s’était enfuie avec un petit groupe pour se mettre en sécurité. Malheureusement, ils avaient croisés la route d’un lycan en pleine chasse qui avait tué deux d’entre deux. Elle était jeune, choquée et terrifiée. En une nuit, elle avait vu sa vie partir en fumée et assisté à la mort de ses amis. Durant les semaines qui suivirent, Margot et Rhys essayèrent d’être là pour elle, de la consoler et de la convaincre de laisser couler et de tendre vers l’apaisement. Teresa vit lentement mais sûrement la haine gagner le cœur de sa plus vieille et fidèle amie. Un beau jour, elle décida qu’on devait faire quelque chose et disparut.

À partir de ce jour, leur famille ne fut plus exactement pareille. Tous s’efforçaient d’avoir l’air joyeux, polis, unis mais le cœur n’y était plus. Il y avait toujours quelqu’un pour regarder en direction de la chaise sur laquelle elle aurait pu s’assoir, de la fenêtre derrière laquelle elle aurait pu apparaître ou du téléphone sur lequel elle aurait pu appeler. Rhys, Margot et Teresa se firent à leur nouvelle vie dans la ville. Même Resa plutôt timide face à tous ceux qui n’étaient pas elfes finit par s’ouvrir aux autres. Les humains qu’elle avait côtoyés en masse pendant ses études et les elfes étaient ses points de repère. Elle rencontra des loup-garous et constata qu’ils n’étaient pas tous comme les monstres des vieux contes qu’on lui avait lu, enfant, qu’ils n’étaient pas tous comme celui que sa sœur était partie chasser. Même les vampires ne lui semblaient pas si effrayants. Quant aux anges, ils étaient de l’histoire ancienne depuis la fin de l’année.

Jusqu’ici, elle n’avait jamais eu conscience d’avoir un don. Il fallut qu’elle rate une marche et dévale un escalier bien trop long pour le découvrir. Il lui arrivait de temps en temps de faire de drôles de rêves dans lesquels elle croisait des personnes qui semblaient aussi perdues et sensées qu’elle, mais elle n’avait jamais vraiment compris qu’il ne s’agissait pas ses rêves. Plus tard, elle comprit que l’inconscience abaissait ses défenses mentales et qu’elle se mettait à projeter involontairement sa conscience sur les autres. Ainsi, son esprit filait vers celui de personnes qu’elle avait croisées dans la journée pour entrer dans leurs esprits endormis.

Personne ne vous dit jamais assez à quel point il est important de faire attention dans un escalier. Teresa comprit la leçon lorsqu’une marche ratée la projeta au bas des marches, inconsciente. Transportée aux urgences, on lui diagnostiqua un traumatisme cérébral qui la laissa plongée dans le coma pendant deux semaines. Ces deux semaines d’inconscience en elles-mêmes n’étaient rien comparé au cauchemar vécu pendant ce laps de temps. Pendant son coma, son esprit resta totalement ouvert et, par un étrange et cruel coup du sort, se retrouva connecté à celui d’un vampire, la rendant prisonnière de son esprit détraqué. Tapie dans un coin de son esprit, elle assista, impuissante, à ses journées, à ses rencontres mais aussi à toutes les horreurs qu’il fit. Il aimait blesser les humains, il aimait prendre sa ration de sang par la force, battre, rabaisser, humilier, torturer les autres et chaque exaction qu’il commettait rendait le monde un peu plus beau à ses yeux. C’était une torture permanente qui continuait même dans les rêves du vampire, quand son inconscient se levait. Et Teresa était obligée d’y assister, comme si on l’avait attachée devant une télévision branchée sur le canal de l’enfer et qu’on lui maintenait les yeux ouverts avec du scotch pour l’empêcher de les fermer. Au bout d’un moment, le vampire se rendit compte de sa présence et n’arrivant pas à la chasser, il décida de faire pire pour tenter de la faire disparaitre en la brisant mentalement. Il tua des gens en lui disant que c’était entièrement de sa faute, que toutes ces personnes étaient mortes à cause de sa présence, qu’il ne faisait ça que pour elle.

Teresa finit par sortir de son coma, mais en se réveillant, elle n’était plus la même personne. Chaque ombre, chaque bruit suspect, chaque éclat la mettait aussitôt sur les nerfs, la ramenant malgré elle vers ses souvenirs du vampire. Au début, elle essayait de se raisonner : elle avait été dans le coma pendant tout ce temps, c’était forcément le produit de son imagination. Mais les actualités la détrompèrent. Les visages qu’elle avait vus dans son coma étaient ceux des personnes qu’on avait retrouvées massacrées un peu partout en ville. Personne ne la croyait, personne ne voulait prendre ses craintes au sérieux et elle était persuadée qu’Il allait la retrouver et lui faire payer son intrusion.

Se sentant trahie que personne ne la prenne au sérieux et terrifiée à l’idée à ce qu’Il frappe le premier, Resa décida de prendre son don en main. Après ce qui s’était passé, c’était comme si elle avait ouvert la boîte de Pandore et qu’elle ne pouvait plus la refermer. Il se manifestait dès que son esprit se détendait et seuls l’alcool et les somnifères parvenaient à empêcher son esprit de vagabonder la nuit.

Inutile de préciser que contrôler son don était en haut de ses priorités et, venue à bout des six ans du tronc commun, elle se tourna vers la psychiatrie avant d’être dirigée vers l’hôpital psychiatrique de la ville. Là-bas, elle trouva des esprits fragiles et sensibles à son don sur lesquels Resa put s’entraîner. Elle parvenait désormais à se propulser en toute conscience et quand elle comprit le chemin aller, elle trouva très rapidement le chemin retour qui lui permettait de monter des défenses mentales pour affronter la nuit. Son don s’avéra être d’une grande aide en matière d’évaluation mentale. Il lui suffisait de se concentrer sur la personne en face d’elle et de le guider dans ses pensées pour connaître ses pensées et mieux cerner sa personnalité et ses problèmes.

Aider les autres était une chose, et aidant les autres, c’était elle qu’elle aidait un peu par la même. Mais il lui arrivait toujours de trouver sur des esprits qui lui donnaient matière à s’inquiéter. Elle ne pouvait pas les dénoncer sans s’exposer, elle et son don, et pourtant, elle savait en général reconnaître les cas qu’il valait mieux ne pas laisser courir dans la nature. Les membres de l’Ordre étaient là mais après avoir été dans sa tête, elle était quasiment certaine que jamais ô grand jamais il ne passerait le Rituel de bonne volonté. Il aimait rester discret. Il aimait mettre ce qu’il faisait sur le compte de sa nature et recommencer en se disant que ce n’était pas sa faute. Quant à Prométhéus, ils semblaient aussi dangereux que le vampire. Si elle voulait le voir disparaître pour arrêter de guetter les ombres qui la suivaient dans la nuit, elle allait devoir le chercher.

L’occasion se présenta un soir où elle reconnut une chevelure dans la foule du Red. Tess ne s’attendait visiblement pas à la croiser là mais elle ne la fuit pas et l’emmena même avec elle, refusant de la voir dans un tel endroit. Elle ne lui expliqua que quelques mois plus tard ce qu’elle-même faisait dans un tel lieu et lui raconta son lien à Prométhéus. En entendant ce que sa grande sœur pensait du groupe, Tess la démentit et s’escrima à lui présenter certains de ses amis pour lui expliquer sa vision des choses. Une vision qui gagna très vite Teresa. Toutes les forces au monde ne pouvaient pas arrêter les nocturnes, il fallait bien que des personnes s’y engagent, quitte à ne pas y aller avec le dos de la cuillère. C’était un devoir envers les autres habitants de la ville. En revanche, là où Tess pensait qu’il fallait exterminer tous les nocturnes pour éviter le danger, Resa voyait différemment. Pour elle, tous n’étaient pas mauvais, tous n’étaient pas dangereux. Il ne fallait éliminer que les véritables menaces et laisser vivre en paix les honnêtes gens. Elle lui parla donc de son don et de ce qu’elle parvenait à en faire, lui expliquant qu’elle voulait bien la rejoindre dans sa quête, mais seulement si elle acceptait de ne détruire que ceux qui étaient véritablement dangereux. C’est avec cette ligne de conduite qu’elle s’engagea dans Prométhéus, s’entraînant à combattre et servant d’investigateur moral pour ses alliés.

Les dernières actualités de la ville l’ont cependant un peu détournée de sa mission. Savoir qu’on avait mit le feu à sa forêt bien-aimée était une chose mais savoir qu’il y avait de vrais responsables derrière l’affaire et qu’ils avaient bien faillis s’en sortir en tout impunité était une autre. Resa brûle d’envie de les détruire mais elle espère que la justice s’occupera d’eux car elle a d’autres problèmes en vue. Il lui semble voir des ombres l’accompagner sur la route quand elle rentre le soir… de plus en plus souvent et la peur est une bien mauvaise compagne.